Intitulée Entre deux eaux, l'exposition des diplômé·es de l'école des Beaux-Arts de Marseille s'inspire à la fois du contexte local de Marseille - une ville bordée par la Méditerranée au sud et à l'ouest - et de la sensation troublante de flottement, entre deux réalités, qui accompagne le moment de transition qu'est la sortie de l'école d'art et de design.
L'exposition s'appuie d'abord sur la prédominance des questions écologiques, territoriales et sociopolitiques dans les pratiques des 39 étudiant·es diplômé·es en art et design en 2025. Un contexte mondial d'instabilité s'inscrit en filigrane de l'exposition, tandis que l'on devine un paysage intranquille où une « violence lente »[1] se déploie : politiques discriminatoires, conséquences environnementales de la colonisation, des guerres impérialistes et des politiques néolibérales, et autres extractivismes. A priori invisible et dispersée dans le temps et l'espace, cette violence, auparavant lente et sourde, est devenue de plus en plus bruyante ces dernières années : les violences policières en France et les guerres contre la Palestine, le Liban, et le Congo sont quelques-uns des événements historiques qui ont entouré la production de ces œuvres - et qui y sont parfois mentionnées.
Réalisées pour la plupart entre 2023 et 2025, certaines des œuvres émanent d'inquiétudes vis-à-vis de ce contexte, ainsi que des craintes plus situées liées au « vide de l'après école »[2]. Cet entre deux eaux fait écho aux conditions ambivalentes des artistes récemment diplômé·es : des perspectives que l'on espère prometteuses, mais une réalité économique souvent précaire. Quitter l'école d'art pour entrer dans un monde marqué par une constellation de crises interconnectées - environnementales, économiques et sociopolitiques - soulève des questions tant matérielles qu'existentielles. Dans ce monde chancelant, prêt à basculer à tout moment, certain·es étudiant·es choisissent de jouer de cette sensation de flottement, propre à diverses phases transitionnelles - allant du passage à l'adolescence jusqu'à la sortie de l'école d'art et de design.
D'autres pratiques s'attardent sur ce qui relie dans l'entre-deux, ou comment l'eau agit comme vecteur. Elles s'attachent aux transmissions d'histoires diasporiques, de mémoires familiales et culturelles, et de luttes intergénérationnelles. Si ces œuvres prennent pour points de départs des expériences intimes, elles résonnent néanmoins avec des réalités partagées et des futurs à réenchanter. C'est ainsi que ces jeunes pratiques s'apparentent à « la mer [qui] comme un scandale de bleu, un fracas du désir / accentue le monde »[3] qui nous entoure.
[1] Rob Nixon, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Harvard University Press, 2013
[2] Olivier Bertrand, Clémence Fontaine, Chloé Horta (Eds.), Comment survivre après l'école d'art ?, surface utiles/ l'erg, 2020
[3] Karim Kattan, « C'est quand la lumière entre [Knossos] », Hortus Conclusus, L'extrême contemporain, 2025, p. 39